Thomas d'Istria
Céder ou non le Donbass à la Russie, le dilemme de Volodymyr Zelensky
Le Monde, 10 décembre 2025
Le plan de paix présenté par la partie américaine prévoit que l’Ukraine accepte de retirer ses troupes de la partie qu’elle contrôle toujours dans le Donbass, dans l’est du pays, en échange de vagues garanties de sécurité à la fin de la guerre. L’occupation de l’intégralité de la région minière fait partie des principaux objectifs revendiqués par le président russe, Vladimir Poutine. Le 4 décembre, ce dernier avait réaffirmé que si l’Ukraine refusait de céder le Donbass à la Russie, alors ses troupes « libéreraient ces territoires par la force ».
Mais si l’armée russe grappille des morceaux de territoire au prix de très lourdes pertes dans la région de Donetsk, qui, avec celle de Louhansk, compose le Donbass, elle n’est pas parvenue à s’en emparer totalement en trois ans et demi de guerre. L’idée d’une cession sans combats a toujours été systématiquement refusée par Volodymyr Zelensky. Lundi soir encore, le chef d’Etat confirmait sa position dans une discussion avec des journalistes sur WhatsApp. « Il ne fait aucun doute que la Russie insiste pour que nous cédions des territoires. Nous ne voulons clairement rien céder. C’est pour cela que nous nous battons », déclarait le président ukrainien, qui a souligné qu’il n’avait « aucun droit légal » ni « moral » de céder des territoires où habitent toujours environ 200 000 personnes.
«Risque de grave crise politique»
« Une telle décision par Zelensky serait perçue en Ukraine comme une capitulation face à la Russie », explique le politiste Volodymyr Fesenko, directeur du centre d’études politiques Penta, à Kiev. Ce dernier affirme que si le président ukrainien devait être forcé à céder, cela « pourrait entraîner des manifestations de masse et un risque de grave crise politique ».
Le politiste rappelle aussi que le Parlement ukrainien sera de toute façon amené à se prononcer sur tout éventuel accord de paix. Or, l’ensemble de la classe politique du pays semble pour l’instant elle aussi s’opposer à un retrait des troupes sans de concrètes garanties de sécurité américaines et européennes protégeant l’Ukraine de toute future offensive russe à la fin de la guerre. « Les Américains pensent pouvoir profiter d’un Zelensky affaibli, mais, à la fin, c’est au Parlement de décider, explique le député d’opposition Volodymyr Ariev, vif critique du président. Nous ne pouvons concéder aucun mètre carré de notre territoire, car cela pourrait créer une réaction en chaîne sur d’autres territoires. » Le parlementaire fait référence aux deux régions méridionales de Kherson et de Zaporijia que la Russie n’occupe que partiellement et dont elle revendique malgré tout l’entière souveraineté depuis septembre 2022. détermination du dirigeant ukrainien s’explique surtout par l’état d’esprit de la population, bien qu’épuisée par près de quatre années de guerre. La perspective d’une cession de territoires demeure très douloureuse dans le pays, d’après le politiste Volodymyr Fesenko. Près de « 71 % » des Ukrainiens y sont « catégoriquement » opposés, selon un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) réalisé entre septembre et octobre, contre « 78 % » entre mai et juin. Aux yeux d’Anton Grouchetsky, directeur du KIIS, la seule manière pour Volodymyr Zelensky de faire accepter un retrait de la région serait d’obtenir de très fermes garanties de sécurité : « Si les garanties nous assurent à 100 % que la Russie ne pourra jamais réattaquer l’Ukraine, alors il serait possible que le Parlement puisse voter pour que l’armée sorte de la région du Donbass… »
Première ligne de défense du pays
Pour les Ukrainiens, céder un morceau de territoire que les troupes russes ne sont pas parvenues à occuper par des moyens militaires en plus de trois ans et demi de guerre reviendrait aussi à donner la première ligne de défense du pays. La région minière compte parmi les zones les plus fortifiées du front et est protégée par un cordon s’étalant sur plusieurs villes et villages entourés de champs et sillonnés de profondes tranchées antichars.
«La Russie tente de convaincre nos partenaires qu’elle dispose de suffisamment de ressources pour occuper tout le Donbass, relève le député du parti présidentiel Yehor Chernev, membre de la commission parlementaire sur la sécurité nationale et la défense. Mais elle se bat pour ces territoires fortifiés depuis des années, sans succès. Les donner aux Russes reviendrait à leur ouvrir la voie pour de futures avancées dans nos territoires.»
Pour le député d’opposition Volodymyr Ariev, la seule manière d’éviter un tel scénario serait que les forces ukrainiennes se retirent et que la zone de retrait soit considérée comme une zone tampon démilitarisée neutre, comme cela avait été évoqué dans le plan de paix en vingt-huit points de Donald Trump, présenté vingt jours plus tôt. Mais, même en l’état, et avec de fortes garanties de sécurité, le parlementaire craint que cette « solution de compromis » ne crée de vives tensions dans le pays. « Une partie de notre armée ne nous le pardonnera pas », affirme le parlementaire.
A cette dimension militaire s’ajoute aussi une dimension morale pour les Ukrainiens, alors que des centaines de milliers de personnes ont combattu pour défendre cette région depuis le début de l’invasion. «Tellement de gens sont morts et ont tout perdu là-bas, explique Anton Grouchetsky, du KIIS. C’est aussi pour cela que nous ne pouvons pas nous en retirer comme ça.»

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