venerdì 25 ottobre 2024

Rousseau e Voltaire


 

Voltaire a Rousseau, lettera del 30 agosto 1755, a ringraziamento per l' invio del Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

"Signore, ho ricevuto il vostro nuovo libro contro il genere umano e ve ne ringrazio. Piacerete agli uomini cui dite le verità che li riguardano, senza peraltro correggerli. Vi rappresentate con colori molto persuasivi gli orrori della società umana, la cui ignoranza e debolezza si ripromettono tante delizie. Nessuno ha mai impiegato tanto ingegno per farci diventare bestie. A leggere il vostro libro, viene voglia di andare a quattro zampe. Ma avendone sfortunatamente persa l' abitudine da più di sessant' anni, mi è impossibile riprenderla ora, e lascio questa andatura naturale a coloro che ne sono più degni di voi e di me. Non posso nemmeno imbarcarmi per andare a visitare i selvaggi del Canada, prima di tutto perché i malanni ai quali sono condannato rendono indispensabile un medico europeo; e poi perché la guerra è già arrivata in quei paesi e l'esempio delle nostre nazioni ha reso i selvaggi quasi malvagi quanto noi; mi limito ad essere un selvaggio pacifico nella solitudine che mi sono scelto nella vostra patria, dove anche voi dovreste essere. Devo ammettere con voi che le belle lettere e le scienze hanno talvolta causato il male in grande misura". La lettera continua sullo stesso tono di feroce ironia.

«J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain; je vous en remercie; vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. Vous peignez avec des couleurs bien vraies les horreurs de la société humaine dont l'ignorance et la faiblesse se promettent tant de douceurs. On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes, que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada, premièrement parce que les maladies auxquelles je suis condamné me rendent un médecin d'Europe nécessaire, secondement parce que la guerre est portée dans ce pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j'ai choisie auprès de votre patrie où vous devriez être. J'avoue avec vous que les belles lettres, et les sciences ont causé quelquefois beaucoup de mal....» (Aux Délices, près de Genève, 30 août 1755).

Rousseau, il più serio e malinconico uomo della Terra, non se n' accorge o finge di non accorgersene. E dieci giorni dopo, risponde devotamente: "Tocca a me, Signore, ringraziarvi sotto ogni riguardo. Offrendovi l' abbozzo delle mie tristi fantasie, non ho certo pensato di farvi un dono degno di voi, ma di adempiere a un dovere e rendervi quell' omaggio che noi tutti vi dobbiamo come al nostro capo". La risposta continua per tre lunghe pagine.

«Spetta a me, Signore, ringraziarvi sotto ogni aspetto. Nell'offrirvi l'abbozzo delle mie tristi fantasticherie, non ho creduto di farvi un regalo degno di voi, ma di compiere un dovere e rendervi un omaggio che tutti dobbiamo come al nostro capo. [...] Il gusto per le scienze e le arti nasce in un popolo da un vizio interiore che esso accentua, e se è vero che ogni progresso umano è pernicioso alla specie, quello della mente e della conoscenza, che gonfia il nostro orgoglio e moltiplica i nostri errori, presto accelera le nostre sventure: ma viene un tempo in cui il male è tale che le stesse cause che lo hanno generato sono necessarie per impedirgli di accentuarsi: è come il ferro che bisogna lasciare nella ferita nel timore che la persona ferita strappandolo muoia. Quanto a me, se avessi seguito la mia prima vocazione e non avessi né letto né scritto, sarei stato senza dubbio più felice. Ma se le lettere adesso venissero distrutte, sarei privato dell'unico piacere che mi resta: è nel loro seno che mi consolo di tutti i mali; è tra i loro figli illustri che gusto la dolcezza dell'amicizia, che imparo a godere della vita e a disprezzare la morte; Devo loro quel poco che sono, devo loro anche l'onore di essere da voi conosciuto..."

«C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes tristes rêveries, je n'ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir et vous rendre un hommage que nous devons tous comme à notre chef. [...] Le goût des sciences et des arts naît chez un peuple d'un vice intérieur qu'il augmente bientôt à son tour, et s'il est vrai que tous les progrès humains sont pernicieux à l'espèce, ceux de l'esprit et des connaissances, qui augmentent notre orgueil et multiplient nos égarements, accélèrent bientôt nos malheurs : mais il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l'ont fait naître sont nécessaires pour l'empêcher d'augmenter : c'est le fer qu'il faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n'expire en l'arrachant.
Quant à moi, si j'avais suivi ma première vocation et que je n'eusse ni lu ni écrit, j'en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé de l'unique plaisir qui me reste : c'est dans leur sein que je me console de tous les maux ; c'est parmi leurs illustres enfants que je goûte les douceurs de l'amitié, que j'apprends à jouir de la vie et à mépriser la mort ; je leur dois le peu que je suis, je leur dois même l'honneur d'être connu de vous...»
(Paris, le 10 septembre 1755).

C’est à moi, monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l’ébauche de mes tristes rêveries, je n’ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m’acquitter d’un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d’ailleurs, à l’honneur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnaissance de mes concitoyens ; et j’espère qu’elle ne fera qu’augmenter encore, lorsqu’ils auront profité des instructions que vous pouvez leur donner. Embellissez l’asile que vous avez choisi ; éclairez un peuple digne de vos leçons ; et vous, qui savez si bien peindre les vertus et la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire.

Vous voyez que je n’aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j’en ai perdu. À votre égard, monsieur, ce retour serait un miracle si grand à la fois, et si nuisible, qu’il n’appartiendrait qu’à Dieu de le faire, et qu’au diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ; personne au monde n’y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds, pour cesser de vous tenir sur les vôtres.

Je conviens de toutes les disgrâces qui poursuivent les hommes célèbres dans les lettres; je conviens même de tous les maux attachés à l’humanité, et qui semblent indépendants de nos vaines connaissances. Les hommes ont ouvert sur eux-mêmes tant de sources de misères que, quand le hasard en détourne quelqu’une, ils n’en sont guère moins inondés. D’ailleurs il y a dans le progrès des choses, des liaisons cachées que le vulgaire n’aperçoit pas, mais qui n’échapperont point à l’œil du sage quand il y voudra réfléchir. Ce n’est ni Térence, ni Cicéron, ni Virgile, ni Sénèque, ni Tacite ; ce ne sont ni les savants ni les poëtes qui ont produit les malheurs de Rome et les crimes des Romains ; mais sans le poison lent et secret qui corrompit peu à peu le plus vigoureux gouvernement dont l’histoire ait fait mention, Cicéron, ni Lucrèce, ni Salluste, n’eussent point existé, ou n’eussent point écrit. Le siècle aimable de Lélius et de Térence amenait de loin le siècle brillant d’Auguste et d’Horace, et enfin les siècles horribles de Sénèque et de Néron, de Domitien et de Martial. Le goût des lettres et des arts naît chez un peuple d’un vice intérieur qu’il augmente ; et s’il est vrai que tous les progrès humains sont pernicieux à l’espèce, ceux de l’esprit et des connaissances qui augmentent notre orgueil et multiplient nos égarements accélèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l’ont fait naître sont nécessaires pour l’empêcher d’augmenter ; c’est le fer qu’il faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n’expire en l’arrachant.

Quant à moi, si j’avais suivi ma première vocation, et que je n’eusse ni lu ni écrit, j’en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé du seul plaisir qui me reste. C’est dans leur sein que je me console de tous mes maux ; c’est parmi ceux qui les cultivent que je goûte les douceurs de l’amitié, et que j’apprends à jouir de la vie sans craindre la mort. Je leur dois le peu que je suis : je leur dois même l’honneur d’être connu de vous. Mais consultons l’intérêt dans nos affaires, et la vérité dans nos écrits. Quoiqu’il faille des philosophes, des historiens, des savants, pour éclairer le monde et conduire ses aveugles habitants, si le sage Memnon m’a dit vrai, je ne connais rien de si fou qu’un peuple de sages.

Convenez-en, monsieur, s’il est bon que les grands génies instruisent les hommes, il faut que le vulgaire reçoive leurs instructions ; si chacun se mêle d’en donner, qui les voudra recevoir ? « Les boiteux, dit Montaigne, sont mal propres aux exercices du corps ; et aux exercices de l’esprit, les âmes boiteuses. » Mais, en ce siècle savant, on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher aux autres.

Le peuple reçoit les écrits des sages pour les juger, non pour s’instruire. Jamais on ne vit tant de Dandins : le théâtre en fourmille, les cafés retentissent de leurs sentences, ils les affichent dans les journaux, les quais sont couverts de leurs écrits ; et j’entends critiquer l’Orphelin, parce qu’on l’applaudit, à tel grimaud si peu capable d’en voir les défauts qu’à peine en sent-il les beautés. Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l’erreur bien plus que de l’ignorance, et que ce que nous ne savons point nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons savoir. Or quel plus sûr moyen de courir d’erreurs en erreurs, que la fureur de savoir tout ? Si l’on n’eût prétendu savoir que la terre ne tournait pas, on n’eût point puni Galilée pour avoir dit qu’elle tournait. Si les seuls philosophes en eussent réclamé le titre, l’Encyclopédie n’eût point eu de persécuteurs. Si cent mirmidons n’aspiraient à la gloire, vous jouiriez en paix de la vôtre, ou du moins vous n’auriez que des rivaux dignes de vous.

Ne soyez donc pas surpris de sentir quelques épines inséparables des fleurs qui couronnent les grands talents. Les injures de vos ennemis sont les acclamations satiriques qui suivent le cortège des triomphateurs : c’est l’empressement du public pour tous vos écrits qui produit les vols dont vous vous plaignez ; mais les falsifications n’y sont pas faciles, car le fer ni le plomb ne s’allient pas avec l’or. Permettez-moi de vous le dire, par l’intérêt que je prends à votre repos et à notre instruction ; méprisez de vaines clameurs par lesquelles on cherche moins à vous faire du mal qu’à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon livre est une terrible réponse à des injures imprimées ; et qui vous oserait attribuer des écrits que vous n’aurez point faits, tant que vous n’en ferez que d’inimitables ?

Je suis sensible à votre invitation ; et si cet hiver me laisse en état d’aller, au printemps, habiter ma patrie, j’y profiterai de vos bontés. Mais j’aimerais mieux boire de l’eau de votre fontaine que du lait de vos vaches ; et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n’y en trouver d’autres que le lotos, qui n’est pas la pâture des bêtes, et le moly, qui empêche les hommes de le devenir.

Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc.

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