domenica 22 febbraio 2015

Delphine, spirito libero



Daria Galateria

Mme de Staël. Il mio nemico Napoleone
la Repubblica, 22 febbraio 2015 

Censurata e costretta all'esilio, la fondatricedel Romanticismo si vendicò con un perfido manoscritto criptato [Dieci anni d'esilio]. Solo ora, nel bicentenario della caduta di Bonaparte, ritrovato. E svelato

... Tra le pagine di piccola storia cancellate dalla de Staël, c'è anche un ballo del 1800. Tale è già l'imperio di Napoleone sui parigini che, all'entrata della sua nemica Germaine, la folla letteralmente si ritrae: solo la giovane contessa Delphine de Custine le andrà incontro, gesto che darà poi il titolo al suo romanzo Delphine.

Anatole France
Calmann-Lévy, 1921 (2e série, pp. 151-171).

LA MÈRE ET LA FILLE
MADAME DE SABRAN ET MADAME DE CUSTINE


... Elle fut élevé comme on élevait alors les filles, sans pédantisme, sobrement, avec mesure. À quinze ans, elle parut dans le monde. Conduite chez madame de Polignac une nuit que l’archiduc et l’archiduchesse d’Autriche y soupaient ainsi que la reine, elle eut grand’peur, et séparée un moment de sa mère, ne sut que devenir. L’archiduc imagina de venir lui parler. Elle en fut si déconcertée que, n’entendant rien à ce qu’il lui disait et ne sachant que lui répondre, elle prit le parti de se sauver à l’autre bout du salon, très rouge et dans un état affreux. Toute la soirée on s’amusa aux dépens de la petite sauvage. Mais sa mère, la voyant fort en beauté, n’était pas en peine.
Cette sauvagerie devait rester, attachée jusqu’à la fin comme un charme à la nature morale de Delphine. Conformément à la destinée des grandes amoureuses, la fille de madame de Sabran était vouée à la solitude.
Delphine épousa, en 1787, le jeune Philippe de Custine, fils du général. Elle avait dix-huit ans. Les noces se firent à la campagne, chez Mgr de Sabran, oncle de la mariée. Il y eut huit jours de fêtes rustiques. Madame de Sabran raconte qu’à une de ces fêtes, « des lampions couverts comme à Trianon donnaient une lumière si douce et des ombres si légères que l’eau, les arbres, les personnes, tout paraissait aérien » . La lune avait voulu être aussi de la fête ; elle se réfléchissait dans l’eau et « aurait donné à rêver aux plus indifférents » . Et madame de Sabran ajoute : « De la musique, des chansons, une foule de paysans bien gaie et bien contente suivait nos pas, se répandait ça et là pour le plaisir des yeux. Au fond du bois dans l’endroit le plus solitaire, était une cabane, humble et chaste maison. La curiosité nous y porta, et nous trouvâmes Philémon et Baucis courbés sous le poids des ans et se prêtant encore un appui mutuel pour venir à nous. Ils donnèrent d’excellentes leçons à nos jeunes époux, et la meilleure fût leur exemple. Nous nous assîmes quelque temps avec eux et nous les quittâmes attendris jusqu’aux larmes. »
Il y a là un sentiment nouveau de la nature. Toutes ces belles dames étaient un peu filles de Jean-Jacques. La bergerie à la veille de la Terreur. Trois ans après, le vieux général de Custine était traduit devant le tribunal révolutionnaire. Sa belle-fille, qui pourtant avait eu à se plaindre de lui, l’assista devant les juges et fut, comme on l’a dit, son plus éloquent défenseur. Tous les jours elle était au Palais-de-Justice dès six heures du matin ; là, elle attendait que son beau-père sortît de la prison ; elle lui sautait au cou, lui donnait des nouvelles de ses amis, de sa famille. Lorsqu’il paraissait devant ses juges, elle le regardait avec des yeux baignés de larmes. Elle s’asseyait en face de lui, sur un escabeau au-dessus du tribunal. Dès que l’interrogatoire était suspendu, elle s’empressait de lui offrir les soins qu’exigeait son état ; entre chaque séance, elle employait les heures à solliciter, en secret, les juges et les membres des comités. Sa grâce pouvait toucher les cœurs les plus rudes. L’accusateur public, Fouquier-Tinville, s’en alarma.
À l’une des dernières audiences, il fit exciter contre la jeune femme les septembriseurs attroupés sur le perron du Palais-de-Justice. Le général venait d’être reconduit à la prison ; sa belle-fille s’apprêtait à descendre les marches du palais pour regagner le fiacre qui l’attendait dans une rue écartée. Timide, un peu sauvage, elle avait toujours eu la peur instinctive des foules humaines. Effrayée par cette multitude d’hommes à piques et de tricoteuses qui lui montraient le poing en glapissant, elle s’arrête au haut de l’escalier. Une main inconnue lui glisse un billet l’avertissant de redoubler de prudence. Cet avis obscur achève de l’épouvanter ; elle craint de tomber évanouie ; et elle voit déjà sa tête au bout d’une pique, comme la tête de la malheureuse princesse de Lamballe. Pourtant elle s’avance. À mesure qu’elle descend les degrés, la foule de plus en plus épaisse, la poursuit de ses clameurs.
— C’est la Custine ! C’est la fille du traître !
Les sabres nus se levaient déjà sur elle. Une faiblesse, un faux pas et c’en était fait. Elle a raconté depuis qu’elle se mordait la langue jusqu’au sang pour ne point pâlir.
Épiant une chance de salut, elle jette les yeux autour d’elle et voit une femme du peuple qui tenait un petit enfant contre sa poitrine.
— Quel bel enfant vous avez, madame ! lui dit-elle.
— Prenez-le, répond la mère.
Madame de Custine prend l’enfant dans ses bras et traverse la cour du palais, au milieu de la foule immobile. L’innocente créature la protégeait. Elle put ainsi atteindre la place Dauphine, où elle rendit l’enfant à la mère qui le lui avait généreusement prêté. Elle était sauvée.
On sait que le général de Custine périt sur l’échafaud, et que Philippe de Custine y suivit bientôt son père. Il mourut avec le calme d’un innocent et la constance d’un héros.
Veuve à vingt-trois ans, madame de Custine résolut de quitter la France avec son fils en bas âge, mais elle fut arrêtée comme émigrée d’intention et conduite à la prison des Carmes. Elle y attendit la mort dans cette fierté tranquille que donnent la race et l’exemple. Le 9 Thermidor la sauva. Elle était jeune, elle était mère ; elle vécut ; elle se reprit aux choses. Le temps est comme un fleuve qui emporte tout. Veuve par la main du bourreau, elle considérait son veuvage comme sacré. Mais toutes les voix de la jeunesse chantaient plaintivement dans son cœur et parfois elle sentait avec amertume le vide de son âme.
En 1797 elle écrivait à sa mère :
 Je voudrais trouver un bon mari, raisonnable, sensible, ayant
 les mêmes goûts que moi et apportant tous les sentiments dont se
 compose mon existence, un mari qui sente que, pour vivre
 heureux, il faut être auprès de toi et qui m’y conduisît, qui
 s’y trouvât heureux et aimât mon fils comme le sien, un mari
 doux d’opinions comme de caractère, philosophe, instruit, ne
 craignant pas l’adversité, qui la connaîtrait même, mais qui
 regarderait comme une compensation à ses maux d’avoir une
 compagne comme ta Delphine ; voilà l’être que je voudrais trouver
 et que je crains bien de ne rencontrer jamais.
Non, ce rêve d’un bonheur paisible ne devait jamais se réaliser. Delphine, de Custine était une tête vouée aux aquilons. Encore quelques années et ses destins seront fixés. Ce n’est pas un mari raisonnable et sensible qu’elle rencontrera, mais un maître impétueux et chagrin, et elle payera du repos de sa vie une joie d’une heure.
C’était en 1803. Elle avait trente-trois ans. Son teint de blonde était resté frais comme au temps où Boufflers l’appelait la reine des roses. La douceur et la fierté se fondaient en séduction sur son fin visage. Elle joignait à la mutinerie de la jeunesse la résignation des êtres qui ont beaucoup vécu. La belle victime vit Chateaubriand. Il était dans tout l’éclat de sa jeune gloire et déjà dévoré d’ennuis. Elle l’aima. Il se laissa aimer. Dans les premières heures il jeta quelque feu. La lettre que voici fut écrite dans la nouveauté du sentiment.
 Si vous saviez comme je suis heureux et malheureux depuis hier,
 vous auriez pitié de moi. Il est cinq heures du matin. Je suis
 seul dans ma cellule. Ma fenêtre est ouverte sur les jardins qui
 sont si frais, et je vois l’or d’un beau soleil levant qui
 s’annonce au-dessus du quartier que vous habitez. Je pense que
 je ne vous verrai pas aujourd’hui et je suis bien triste. Tout
 cela ressemblera un roman ; mais les romans n’ont-ils pas leurs
 charmes ? Et toute la vie n’est-elle pas un triste roman ?
 Écrivez-moi ; que je voie au moins quelque chose qui vienne de
 vous ! Adieu, adieu jusqu’à demain !
 Rien de nouveau sur le maudit voyage.
Ce voyage est celui de Rome, où René, nommé secrétaire d’ambassade, devait conduire madame de Beaumont, mourante.
Il partit; aux premiers arbres du chemin, il avait déjà oublié Delphine de Custine. De retour en France, l’année suivante, il lui rapporta un amour distrait, éloquent et maussade. Elle le recevait dans la terre de Fervacques, qu’elle avait récemment achetée et dont le vieux château, égayé par le souvenir de la belle Gabrielle, possédait encore, disait-on, le lit de Henri IV.
C’est après un de ces séjours que Delphine lui écrivit ce billet :
 J’ai reçu votre lettre. J’ai été pénétrée, je vous laisse à
 penser de quels sentiments. Elle était digne du public de
 Fervacques, et cependant je me suis gardée d’en donner lecture.
 J’ai dû être surprise qu’au milieu de votre nombreuse
 énumération il n’y ait pas eu le plus petit mot pour la grotte
 et pour le petit cabinet orné de deux myrtes superbes. Il me
 semble que cela ne devait pas s’oublier si vite.
On sent qu’en écrivant ces lignes, la délicate créature était encore agitée d’un doux frémissement. Elle avait la mémoire du cœur et des sens, cette pauvre femme, condamnée dès ce moment à ne vivre que de souvenirs. Rien ne devait plus effacer dans son âme la grotte et les deux myrtes. Chateaubriand ne lui laissa même pas l’illusion du bonheur. Le 16 mars 1805, elle écrivait à Chênedollé son confident:
 Je ne suis pas heureuse, mais je suis un peu moins malheureuse.
Onze jours après, elle disait :
 Je suis plus folle que jamais ; je l’aime plus que jamais, et je
 suis plus malheureuse que je ne peux dire. 
René, qui ne cherchait au monde que des images, préparait alors son voyage en Orient.
Madame de Custine écrivait de Fervacques le 24 juin 1806.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Le Génie (le Génie, c’était Chateaubriand) est ici depuis quinze jours ; il part dans deux mois, et ce n’est pas un départ ordinaire, ce n’est pas pour un voyage ordinaire non plus. Cette chimère de Grèce est enfin réalisée. Il part pour remplir tous ses vœux et pour détruire tous les miens. Il va enfin accomplir ce qu’il désire depuis si longtemps. Il sera de retour au mois de novembre, à ce qu’il assure. Je ne puis le croire ; vous savez si j’étais triste, l’année dernière ; jugez donc de ce que je serai cette année ! J’ai pourtant pour moi l’assurance d’être mieux aimée ; la preuve n’en est guère frappante.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Tout a été parfait depuis quinze jours, mais, aussi tout est fini.
Tout était fini. Son instinct ne la trompait pas ; René, dans ce pèlerinage, allait chercher une autre victime. Madame de Mouchy l’attendait à l’Alhambra.
Madame de Custine se survécut vingt ans. Elle eut le courage de rester l’amie de celui qui ne l’aimait plus. Le monde qu’elle n’avait jamais goûté, lui était devenu odieux. Elle restait enfermée à Fervacques.
M. Bardoux a publié les lettres charmantes qu’elle écrivait, après 1816, à son amie la célèbre Rahel de Varnhagen. Ces lettres laissent voir la limpidité de l’âme de Delphine. Elle écrit :
 J’aime encore les arbres ! Le ciel a eu pitié de moi, en me
 laissant au moins ce goût. Je fais à tous la meilleure mine que
 je peux, mais je ne peux pas grand’chose, parce que je souffre
 dans le fond de mon âme.
Et encore :
 Vous dites d’une manière charmante « qu’il ne faudrait pas être
 seule lorsqu’on n’est plus jeune » ! Au moins faudrait-il être
 vieille ! mais on est si longtemps à n’être plus jeune sans être
 vieille, que c’est là ce qu’il y a de plus pénible ; ce qui me
 console, c’est la rapidité de tout. Le temps passe avec une
 promptitude effrayante, et, malgré la tristesse des jours, on
 les voit s’évader comme les eaux d’un torrent.
Elle souffrait depuis longtemps d’une maladie de foie que le chagrin avait développée.
Dans l’été de 1826, elle se rendit à Bex pour respirer l’air des montagnes et aussi pour être plus près de Chateaubriand, qui avait accompagné à Lausanne sa femme souffrante. Là, Delphine de Custine s’éteignit sans agonie le 25 juillet 1826, dans la cinquante-sixième année de son âge. Chateaubriand la veilla à son lit de mort. Il écrivit dans ses Mémoires ces lignes froides et brillantes :
 J’ai vu celle qui affronta l’échafaud du plus grand courage, je
 l’ai vue plus blanche qu’une Parque, vêtue de noir, la taille
 amincie par la mort, la tête ornée de sa seule chevelure de
 soie, me sourire de ses lèvres pâles et de ses belles dents, lorsqu’elle 
 quittait  Sécherons, près Genève,pour expirer à Bex, à l’entrée du Valais.
 J’ai entendu son cercueil passer, la nuit, dans les rues
 solitaires de Lausanne, pour aller prendre sa place éternelle à
 Fervacques.
Certes, la fille de madame de Sabran avait tout donné et n’avait rien reçu. Qu’importe, puisque le vrai bonheur de ce monde consiste non à recevoir, mais à donner ! Elle eut la part de joie dévolue sur la terre aux créatures bien nées, puisqu’elle fit en aimant le rêve de la vie. C’est pour elle et ses pareils qu’il fut écrit : « Heureux ceux qui pleurent ! »

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