martedì 25 dicembre 2012

Barbusse, la femme et la guerre

 Un jour il faudra revenir sur ces passages du Feu, le grand roman dans lequel Henri Barbusse a transposé son expérience de la guerre. Déjà Leo Spitzer avait remarqué l'imagination morbide de l'écrivain, le goût pour les métaphores sanglantes, quand il était question de la femme et de l'amour. Tout cela s'était manifesté bien avant la guerre dans un roman, L'Enfer (1908), qui voulait montrer la vérité de la vie à travers une sorte de dévoilement opéré par le regard d'un voyeur. Par la suite Jean Relinger avait expliqué qu'une certaine misogynie érotique appartenait à l'esprit du temps. Mais quand les mêmes thèmes reviennent dans Le Feu, on ne peut pas parler uniquement d'une obsession qui refait surface, le message produit s'avère plus complexe. Lamuse, l'homme boeuf, désire Eudoxie de tout son être, c'est l'homme dans son animalité emporté par l'image d'une femme lumineuse, qui serait éthérée si elle ne laissait pointer aussi son côté charnel à travers "la vive blessure de sa bouche". Or dans Le Feu Eudoxie est aussi  le mystère de la guerre, exaltation de la vie à proximité de la mort. La femme en tant qu' élément central d'une existence douce et paisible était aussi présente dans L'Enfer. Ce qui est exprimé violemment dans Le Feu est le retournement d'un tel tableau. Quand Lamuse parvient à serrer Eudoxie dans ses bras, elle est réduite à l'état de cadavre.

Giovanni Carpinelli 


chapitre V, L'asile
 ...
Au premier tournant, à peine entendons-nous un crissement léger de pas, et nous nous trouvons face à face avec Eudoxie !
Lamuse pousse une exclamation sourde. Peut-être s’imagine-t-il, encore une fois, qu’elle le cherchait, croit-il à quelque don du destin… Il va à elle, de toute sa masse.
Elle le regarde, s’arrête, encadrée par de l’aubépine. Sa figure étrangement maigre et pâle s’inquiète, ses paupières battent sur ses yeux magnifiques. Elle est nu-tête ; son corsage de toile est échancré sur le cou, à l’aurore de sa chair. Si proche, elle est vraiment tentante dans le soleil, cette femme couronnée d’or. La blancheur lunaire de sa peau appelle et étonne le regard. Ses yeux scintillent ; ses dents, aussi, étincellent dans la vive blessure de sa bouche entrouverte, rouge comme le cœur.
– Dites-moi… J’vais vous dire… halète Lamuse. Vous me plaisez tant…
Il avance le bras vers la précieuse passante immobile.
Elle a un haut-le-corps, et lui répond :
– Laissez-moi tranquille, vous me dégoûtez !


Chapitre XVI, Idylle

 ...On lui offre du vin. Il refuse d’un signe. Puis il se tourne vers moi, un geste de sa tête m’appelle. Quand je suis près de lui, il me souffle, tout bas, comme dans une église :
– J’ai revu Eudoxie.
Il cherche sa respiration ; sa poitrine siffle et il reprend, les prunelles fixées sur un cauchemar :
– Elle était pourrie.

– C’était l’endroit qu’on avait perdu, poursuit Lamuse, et que les coloniaux ont r’pris à la fourchette y a dix jours.
» On a d’abord creusé le trou pour la sape. J’en mettais. Comme j’foutais plus d’ouvrage que les autres, j’m’ai vu en avant. Les autres élargissaient et consolidaient derrière. Mais voilà que j’trouve des fouillis d’poutres : j’avais tombé dans une ancienne tranchée comblée, videmment. À d’mi comblée : y avait du vide et d’la place. Au milieu des bouts de bois tout enchevêtrés et qu’j’ôtais un à un de d’vant moi, y avait quéqu’ chose comme un grand sac de terre en hauteur, tout droit, avec quéqu’ chose dessus qui pendait.
» Voilà une poutrelle qui cède, et c’drôle de sac qui m’tombe et me pèse dessus. J’étais coincé et une odeur de macchabée qui m’entre dans la gorge… En haut de c’paquet, il y avait une tête et c’étaient les cheveux que j’avais vus qui pendaient.
» Tu comprends, on n’y voyait pas beaucoup clair. Mais j’ai r’connu les cheveux qu’y en a pas d’autres comme ça sur la terre, puis le reste de figure, toute crevée et moisie, le cou en pâte, le tout mort depuis un mois, p’t’être. C’était Eudoxie, j’te dis.
» Oui, c’était c’te femme que j’ai jamais su approcher avant, tu sais – que j’voyais d’loin, sans pouvoir jamais y toucher, comme des diamants. Elle courait, tout partout, tu sais. Elle bagotait dans les lignes. Un jour, elle a du r’cevoir une balle, et rester là morte et perdue, jusqu’au hasard de c’te sape.
» Tu saisis la position. J’étais obligé de la soutenir d’un bras comme je pouvais, et de travailler de l’autre. Elle essayait d’me tomber d’ssus de tout son poids. Mon vieux, elle voulait m’embrasser, je n’voulais pas, c’étai’ affreux. Elle avait l’air de m’dire : « Tu voulais m’embrasser, eh bien, viens, viens donc ! » Elle avait sur le… elle avait là, attaché, un reste de bouquet de fleurs, qu’était pourri aussi, et, à mon nez, c’bouquet fouettait comme le cadavre d’une petite bête.
» Il a fallu la prendre dans mes bras, et tous les deux, tourner doucement pour la faire tomber de l’autre côté. C’était si étroit, si pressé, qu’en tournant, à un moment, j’l’ai serrée contre ma poitrine sans le vouloir, de toute ma force, mon vieux, comme je l’aurais serrée autrefois, si elle avait voulu…
» J’ai été une demi-heure à me nettoyer de son toucher et de c’t’odeur qu’elle me soufflait malgré moi et malgré elle. Ah ! heureusement que j’suis esquinté comme une pauv’ bête de somme. »
Il se retourne sur le ventre, ferme ses poings et s’endort, la face enfoncée dans la terre, en son espèce de rêve d’amour et de pourriture.

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