Québec et Wallonie
Min REUCHAMPS (dir.), 2015, Minority Nations in Multinational Federations. A Comparative Study of Quebec and Wallonia, London – New York, Routledge, 198 p.
1 Délicate mais nécessaire entreprise que celle d’aborder la question des fédérations multinationales d’un point de vue comparatif. C’est leur capacité à surmonter les crises dont elles sont périodiquement affectées qui attire en général l’attention des chercheurs. Les cas du Pays basque en Espagne, de la Bavière en Allemagne, du Québec au Canada, de la Flandre en Belgique et, plus récemment, de l’Écosse au Royaume-Uni sont là pour le prouver. Dans le passé, c’était presque une règle de rapprocher le Québec de la Flandre, du fait des similitudes entre les deux régions : elles représentaient les exclus, ou les faibles, au sein de leurs États respectifs. Les choses ont cependant changé depuis, la Flandre étant, en Belgique, la région de loin la plus riche et la plus peuplée. Désormais, c’est la comparaison entre le Québec et la Wallonie qui s’impose. Les auteurs de ce collectif s’y attachent en privilégiant l’analyse, menée de l’intérieur, des deux régions conçues comme étant des réalités autonomes, par rapport à celle des relations que ces deux unités entretiennent avec les structures fédérales dont elles font partie. En tant que le Québec et la Wallonie font figure de petites patries, un regard attentif doit être porté sur ce qui se passe à l’échelle locale. Telle est la prémisse des travaux réunis dans ce volume. On la retrouve aussi bien dans l’introduction de Min Reuchamps qu’au fil des pages et dans la conclusion de Michael Burgess.
2 Les
événements examinés dans l’ouvrage remontent aux années 1960, quand le
Québec entame sa « révolution tranquille » et la Wallonie prend
conscience de son statut minoritaire du point de vue social et
économique. Là commence un processus qui atteint son faîte en 1995. Au
Québec, ce fut l’année du deuxième referendum sur l’indépendance : le
« non » remporta une victoire arrachée de justesse. Dès lors, la
tendance à l’accroissement des pouvoirs attribués au Québec dans le
cadre de la Fédération s’accentua et se révéla porteuse de nombreux
résultats. 1995 est également une date cruciale pour la Wallonie,
puisque, pour la première fois, est élu directement un Parlement wallon.
Les pouvoirs dévolus à la région s’étant encore étoffés depuis,
l’ensemble de l’édifice tend à se rapprocher de celui d’un État sans s’y
identifier tout à fait. Les différences entre les deux cas envisagés
demeurent cependant importantes ainsi que le rappellent, respectivement,
Luc Turgeon et Jean-François Caron dans les deux chapitres qui forment
la première partie de l’ouvrage (Setting the stage). Le Québec
représente 25 % seulement de la population canadienne et, dans le pays,
les francophones proprement dits sont encore moins nombreux par rapport à
la population totale, puisqu’ils n’excèdent pas les 20 %. Dans le
contexte belge, la population de la Wallonie représente 32 % de la
population totale, tandis que la part de francophones, avec Bruxelles,
atteint 41 %. Fait remarquable, tout en étant un pays majoritairement
flamand, la Belgique a une capitale dont 80 % de la population s’exprime
en français. De surcroît, la Wallonie était en fait englobée depuis
longtemps dans une Belgique francophone officiellement majoritaire, ce
qui contraste nettement avec la situation traditionnellement minoritaire
du Québec. Qu’on ajoute à cela le vieux statut provincial du Québec et
la constitution toute récente de la Wallonie en région autonome et l’on
aura une idée de l’écart qui sépare les deux réalités.
3 Venons-en
aux deux autres parties plus détaillées du livre. Tandis que la
deuxième (trois chapitres) est consacrée à la politique (Politics), la troisième, et dernière (trois chapitres), l’est, quant à elle, aux stratégies d’action (Policies). La deuxième partie s’ouvre par une étude sémiologique (à vrai dire, les auteurs – Heidi Mercenier, Julien Perrez et Min Reuchamps
– parlent de lexicométrie, de linguistique cognitive et de science
politique). Il s’agit de voir quelle image de la région est offerte par
les programmes électoraux des partis politiques entre 1994 et 2014. Il
apparaît que la question identitaire domine au Québec, tandis qu’en
Wallonie elle va de pair avec la question sociale. Les métaphores
employées privilégient l’effort de construction d’une nouvelle nation au
Québec, là où c’est le cadre de vie et le malaise qui sont au premier
plan en Wallonie. Dans les deux contributions suivantes les partis
s’effacent au profit des individus. Jérémy Dodeigne se demande si une
classe politique locale est en train de se former. La Wallonie
semblerait présenter de ce point de vue une plus grande mobilité
ascendante. Le phénomène ne concerne toutefois qu’un petit nombre de
personnes. La frontière entre l’échelon local et l’échelon supérieur
garde tout son poids et les changements de statut entre l’un et l’autre
sont, somme toute, rares. Sandra Breux et Vincent Jacquet, quant à eux,
s’intéressent aux maires, « mayors » au Québec,
« bourgmestres » en Wallonie. Leur rôle s’est vu récemment renforcé dans
les deux régions. Un souci d’indépendance par rapport aux divisions
partisanes et aux gouvernements centraux a fini par s’affirmer dans les
deux cas. Cependant la profession du maire est plus politisée en
Wallonie qu’au Québec.
4 En
ce qui concerne les stratégies d’action (troisième partie de l’ouvrage),
Maxime Petit Jean s’intéresse à l’administration publique, visée par
des réformes marquantes : la loi sur l’administration publique au Québec
en 2000 et la naissance d’une administration centrale wallonne,
dénommée Service public de Wallonie, en 2008. Les buts poursuivis
étaient les mêmes: efficacité et ouverture (responsiveness) aux
citoyens. La volonté d’autonomie est pourtant beaucoup plus nette au
Québec. L’administration wallonne n’a été longtemps qu’une copie de
l’administration belge. Elle hésite dernièrement entre le choix d’une
forme locale plus autonome et l’alliance avec Bruxelles dans le cadre de
la Communauté française. C’est à Philippe Hambye que revient la tâche
d’aborder un thème délicat : la politique des langues. Les différences
entre le Québec et la Wallonie s’accentuent à ce sujet. Dans le cas du
Québec, la concurrence de l’anglais se fait sentir, tandis qu’en
Wallonie le néerlandais n’a jamais exercé d’attrait véritable. Les
secteurs explorés sont au nombre de quatre : communication publique,
éducation, politiques d’immigration et planification linguistique. Seul
le Québec a développé une politique des langues cohérente et
transversale, notamment avec la Charte de la langue française qui vise à
assurer la priorité du français dans tous les domaines publics
d’expression verbale. On peut ajouter qu’une telle politique a porté ses
fruits. Enfin Stéphane Paquin, Marine Kravagna et Min Reuchamps
consacrent un dernier chapitre aux relations internationales menées par
chacune des deux régions. L’exercice d’une diplomatie parallèle a
conduit le Québec à promouvoir une politique étrangère distincte de
celle du Canada. En revanche, en Belgique on a assisté le plus souvent à
une influence conjointe des deux acteurs francophones, Wallonie et
Communauté française, sur les choix de l’État fédéral.
5 Un bilan de l’entreprise réalisée par Minority Nations
tend à montrer que le choix de s’en tenir principalement au niveau
régional dans l’analyse n’a pas été toujours heureux. Il est vrai que le
Québec et la Wallonie sont des nations en marche, mais contre quels
adversaires ? Qu’est-ce qui a empêché le Québec et la Wallonie d’aller
plus loin sur le chemin d’une indépendance totale ? Et, d’abord, est-il
si évident que la Wallonie aspire à l’indépendance ? Dans cet ouvrage
même, Jean-François Caron décrit comme suit l’état actuel de l’opinion
locale : « il n'est pas surprenant aujourd’hui de trouver qu’une vaste
majorité de Wallons s’identifient davantage à la Belgique qu’à leurs
autres entités culturelles (que ce soit la région wallonne ou la
Communauté française) » (p. 32). Quant au Québec, l’option séparatiste à
été sans conteste rejetée lors du referendum de 1995 par un nombre
considérable de francophones (40 % environ) et par des minorités qui se
sentaient menacées par une telle perspective (voir le cas des féministes
anglophones cité par Luc Turgeon, p. 19). L’on dirait que des figurants
inattendus sont venus perturber le scénario d’une pièce peut-être trop
simpliste : les Canadiens, qui existent, et les Belges, qui existent
aussi. Ce sont eux qui s’opposent à un fractionnement plus poussé de
leurs États. Que ce soit au nom de la neutralité scientifique ou pour
d’autres raisons non explicitées, les dégâts provoqués par un
morcellement excessif du pouvoir ne se voient pas accorder une place de
choix dans cet ouvrage. Or, les attentats terroristes de Bruxelles du 22
mars 2016 sont là pour nous rappeler que le souci de ménager les
susceptibilités locales peut devenir un obstacle majeur dans la
prévention des atteintes à la sécurité collective. (Giovanni Carpinelli)
A paraître dans Revue européenne des sciences sociales